Si nous partons du point de départ – notre propre conscience – et si nous observons bien, le choix de nous impliquer (ou non) et comment nous appartient, quelle que soit la situation. La plupart des situations, dans le cours de l’univers, sont en dehors de notre contrôle. Dans certains cas nous n’avons le choix que de notre façon de les accepter et de nous adapter. Ce qui nous permet de donner un sens à notre positionnement et à nos actes, même si la marge de manœuvre est très réduite. Peut-être ressentons-nous à présent ce que tout prisonnier ressent lorsqu’on referme sur lui, pour la première fois, les portes de sa cellule. Ce confinement, relatif, comment allons-nous le vivre, surtout s’il dure beaucoup plus que prévu ? Allons nous continuer à réagir contre tout ce qui se présente, et à éviter de prendre en charge nos propres émotions, conceptions ou comportements ? Ou allons-nous enfin retourner notre regard vers le dedans ? Le yoga commence ici, au point zéro : exactement dans l’œil du cyclone. Ce fameux point fixe dont parlent les poètes et les sages illuminés – “still point” autour duquel tout gravite. La question “qui suis-je ?” et la question du sens de tout cela, n’est ce pas le moment de les revisiter ?
En retournant la situation, comme au théâtre, ne pourrions-nous pas plutôt considérer ce confinement comme une opportunité ? Et donc une liberté inespérée : celle de ré-examiner nos propres peurs et attentes, et surtout nos besoins réels, en reprenant pied et pouvoir sur notre propre réactivité automatique (vous savez, ce qu’on appelle “samskara” : les tendances inconscientes qui se lèvent en nous à la vitesse d’un cobra). Si elles passent totalement inaperçues, elles monopolisent pas mal notre champ de notre conscience, qui s’en trouve teinté et limité. Si nous avons le temps de les apercevoir, grâce à cette stabilité centrale, vers laquelle notre pratique nous ramène encore et encore, elles pourraient bien commencer à perdre leur consistance, s’effriter, et se dissoudre…
“Pratipaksa bhavana” c’est précisément ce retournement dans notre approche et notre attitude qui désactive le pouvoir d’accroche des empreintes du passé (lointain ou immédiat, individuel et collectif) qui interposent leurs membranes collantes entre nous et la réalité. La réalité de fond, en yoga, c’est la conscience. Lorsque l’intensité de sa lumière réduit en poussière tous ces résidus, c’est la libération totale. En attendant, chaque pratique polarise notre attention dans cette direction, défait les blocs, affine le grain, et allège nos bagages.
Si nous prenons l’autre chemin, celui où nous “choisissons” de nous noyer dans les échos qui résonnent de tous côtés, de l’extérieur et de l’intérieur, nous sommes certains de nous enfoncer plus lourdement encore dans les sacs de nœuds du passé personnel et collectif. Parce que nous l’avons déjà remarqué, et nous ne sommes pas les seuls. Ce chemin-là, tout le monde le connaît, sous le soleil.
En situation de crise, il ne s’agit pas d’implanter une “pensée contraire” en argumentant avec la réalité, en nous divisant davantage (avec un degré de réactivité accru), mais de nous re-polariser sur notre propre lumière. Vers ce lieu originel où il n’y a rien à atteindre : juste à réaliser, en nous ré-absorbant dans notre vraie nature, notre forme propre (svarupa). Qui n’a pas d’opposé.
Le yoga ne pointe que vers cet instant de “vérité” où tout aveuglement cesse de lui-même.
“La beauté, c’est lorsque vous n’êtes plus.” Jiddu Krishnamurti